Quelle ironie… La présence, la disparition, les dates de péremption... Rien ne s’est
amélioré, c’est même plutôt l’inverse. Je ne saurais pas dire si j’en suis
heureuse ou non, probablement pas heureuse, ni même soulagée. Est-ce encore la
marque de cette effroyable passivité qui semble me caractériser ? Je fais
avec. Juste ça. Pourtant, l’explication de la passivité ne me satisfait
pas : elle n’est guère flatteuse il faut dire, ni vraiment compatible avec
l’idée que je peux avoir de ma personnalité, fondée ou fantasmée. Et c’est
parce que cette passivité ne me satisfait pas que j’ai remodelé mes mécanismes
de réflexion de façon à ce qu’ils s’orientent vers la démystification de la
passivité dont je suis l’actrice et la victime en ce qui concerne son espérance
de vie, ses détours et ses raccourcis. C’est ainsi que je suis arrivée à la
conclusion que ma vie, dans sa vacuité apparente était en réalité très remplie.
Mieux, que je la remplissais de la denrée la plus inépuisable qui soit,
délibérément, activement, compulsivement : autrui. Autrui est ma came.
Rien ne me comble ni ne m’attire davantage que tout individu qui ne serait pas
moi.
Récemment, j’ai fait la découverte d’un mot anglais couvrant
une réalité qui me happe fréquemment. « Sonder », ou la subite réalisation
que chaque passant que l’on croise a une vie au moins aussi riche que la
sienne, une place au cœur d’une toile sociale plurielle, un réseau de pensées
et d’émotions. Par une évidente mise en abyme, il était inévitable qu’une
personne déclare un jour « puisque chaque individu que je croise possède
cette intériorité, la prise de conscience de cette infinité d’intériorités ne
peut être de mon seul fait. Inventons donc un mot. Sonder. » Pour cette raison, il
y a beaucoup de beauté dans l’existence-même de ce mot. Il ramène l’humanité à
ce qu’il y a de plus enthousiasmant dans son essence, fait de bienveillance et
d’altruisme fusionnés.
Pendant de brefs moments au cours de l’existence, malgré le vacarme confus de la gestion de la réalité, l’humain a
conscience de lui-même, conscience d’autrui et conscience de la richesse et du
potentiel de ses pairs. S’il s’agit d’une évidence pour certaines personnes qui
consacrent ouvertement leur vie et leurs efforts à des actions solidaires, une
telle attitude ne tombe pas sous le sens pour le reste des représentants de
l’espèce humaine. Sonder ne
concernerait alors plus l’humain en général, mais ceux parmi les êtres humains
pour lesquels il n’est pas naturel, possible ou quotidien de penser à autrui.
Et cela, que nul ne soit à l’abri de ces épiphanies philanthropes, rend toute la chose encore plus belle.
Parfois pourtant, comme c’est le cas pour moi lorsque je ne
suis pas ponctuellement en train de succomber au miracle du Sonder, l’altruisme n’est pas tout à
fait beau, pas tout à fait pur, pas tout à fait désintéressé. Peut-on alors
encore parler d’altruisme ?
Si embrasser la réalité de l’autre est une nourriture et répond donc à un besoin vital, peut-on le
célébrer comme un sublime trait d’âme ? Je n’ai pas la réponse. Et si je
consentais à en formuler une, elle tendrait probablement vers le pessimisme,
autant alors ne pas emprunter ce chemin de réflexion : d’autres seraient
plus à même de me juger, ce serait leur rôle, je me contente de jouer le mien
et de tenter à posteriori de le désosser. Mieux vaut le déni à ce stade, que
revendiquer son altruisme après l’avoir déclaré plus égoïste que l’égoïsme.
L’autre est
fabuleux, littéralement. Il et si profondément bouleversant de pouvoir
s’extraire de soi et se couler dans une autre subjectivité. Absorber une vie, un
historique, se faire le rouage central d’un mécanisme nouveau, se laisser
impulser par le métabolisme d’un autre, se ganter de son réseau nerveux, se
chausser de ses muscles, se vêtir de sa peau puis s’enrouler dans la coquille
sociale de ses vêtements, ajuster ses yeux comme on poserait une paire de lunettes
sur le nez qu’on lui a également emprunté.
Empathie, projection, immersion, toutes ces parures
auxquelles on a accès grâce à l’écoute, au toucher, grâce aux sens, qu’on en
compte en fonction de ses croyances cinq, ou six. Il y a dans l’autre tant de richesses qu’il est
possible, de temps à autres, de pallier ses propres vides au contact d’autrui.
La fusion, puis la dissociation une fois que l’on s’est enrichi de cette
subjectivité nouvelle. Devenir non pas autre, mais adapté, compatible,
antipodique si le besoin se fait ressentir, devenir le pendant circonstanciel,
miroir ou némésis… C’est sans doute dangereux à long terme : peut-on finir
par oublier que l’on est soi ?
Mais peut-être dans certains cas n’est-on soi qu’ainsi, en pâte meuble, en flux…
Embrasser la réalité de l'autre ne signifie pas nécessairement oeuvrer pour son bien ou même y penser. En cela peut-être que la question de savoir s'il s'agit ou non d'une qualité ne se pose pas, d'où l'incapacité d'y répondre.
RépondreSupprimerIl me semble que l'empathie que tu décris si bien - et qui selon moi est liée à une hypersensibilité qui ne touche pas tous les humains - n'est pas de notre fait et ne correspond pas exactement à une volonté (du moins consciente) de se fondre dans un corps et un esprit qui ne seraient pas les nôtres, ni à une quelconque bienveillance.
Je parle de "nécessaire" dans le sens ontique et du point de vue de l'expérience. Si l'on suit le raisonnement selon lequel nous cherchons notre propre bien alors, (selon la définition stricte de l'empathie) pendant ces instants - aussi fugaces soient-ils - où nous "coulons dans une autre subjectivité", nous devrions y chercher aussi le bien. Le fait est que ça n'est pas toujours le cas et que nous pouvons simplement en être les témoins et le ressentir sans intention aucune.
Par extension cela revient à se poser la question de savoir s'il est ou non dans notre essence de chercher notre bien-être et d'agir pour l'atteindre. A ce moment là, réponds-je forcément à un besoin lorsque "j'embrasse la réalité de l'autre" ? Et "embrasser la réalité de l'autre", est-ce identique à l'altruisme ? Je peux reconnaitre le potentiel de l'autre et le trouver fabuleux simplement parce qu'il l'est, sans intention, sans pour autant oeuvrer pour son bien (ce qui évidemment ne veut pas dire non plus l'inverse, i.e. oeuvrer pour causer sa perte... faut pas déconner :) ).
C'est peut-être juste un trait de personnalité après tout (cf l'hypersensibilité), une chose qui est parce qu'elle est et qui ne tend vers rien d'autre que cela. S'il n'y a en moi aucune intention quand je me fonds dans l'autre ou quand je succombe au "sonder", alors je ne suis pas égoïste, si?
Et quand bien même il y aurait une intention, nous vivons dans une interdépendance fondamentale qui implique que nous n'agissons pas forcément égoïstement lorsque nous cherchons le bien d'autrui pour nous-même, notre propre bien-être contribuant également au sien.
En ce qui concerne l'oubli de soi, "je" est tout ce que l'autre n'est pas, peut-être alors que "je" doit savoir ce qu'est l'autre pour savoir ce qu'il est et être soi ? Question ouverte. Et peut être que pour certains individus, être soi implique de se fondre un peu dans l'autre, et pourquoi pas si c'est le seul moyen de ressentir les choses ?
Navrée pour le paté, ton post est intéressant, belle plume.
Merci, 'Philomène' pour avoir partagé cette longue et éclairée réflexion sous un post passablement confus... La suite (et probablement une ébauche de réponse à la question ouverte) viendra en son temps...
RépondreSupprimerBien. Merci à toi
RépondreSupprimerEn réalité toutes les questions que je posais sont ouvertes et je n'ai aucune certitude quant à ce que j'ai écris avec une humilité des plus sincères...
RépondreSupprimerhttp://www.arte.tv/guide/fr/051656-000-A/vers-un-monde-altruiste
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